: Enquête Perquisitions en série et enquêtes judiciaires : la gestion de Laurent Wauquiez au Conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes dans le viseur de la justice
Le lundi 27 novembre 2023 au matin, cinq officiers de police judiciaire pénètrent dans les locaux de l’association Régions de France (RDF), quai de Grenelle, dans le 15e arrondissement de Paris. RDF représente les régions auprès des pouvoirs publics. C’est leur porte-voix, moyennant une cotisation annuelle de chaque conseil régional.
En ce petit matin d’automne, les enquêteurs sont missionnés par le Parquet national financier (PNF), qui enquête sur d’éventuels emplois fictifs au sein du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes. Le 19 octobre dernier, la cellule investigation de Radio France révélait que quatre personnes rémunérées par cette collectivité ne travaillaient pas sur des dossiers régionaux mais œuvreraient possiblement à la carrière nationale de son président Les Républicains, Laurent Wauquiez, candidat potentiel de la droite à la présidentielle de 2027.
Un poste sans "utilité ni contenu"
Nawel G. est l’une des quatre personnes que nous avions identifiées et dont l’emploi serait, selon nos informations, "fictif". Jusqu’en novembre dernier, elle était "déléguée régionale à Paris" de la région Auvergne-Rhône-Alpes auprès de Régions de France. Son bureau, situé au siège de l’association, a été perquisitionné par les enquêteurs, à la recherche de documents qui prouveront, ou non, la réalité de son travail pour le conseil régional. "Les policiers sont restés toute la matinée avec elle", relate un témoin. Pendant ce temps-là, Philippe Bailbé, le délégué général de RDF, le numéro 2 de l’association présidée par Carole Delga, anime la réunion hebdomadaire habituelle avec ses équipes. "C’était lunaire. Les policiers étaient dans la pièce d’à côté et on était censés travailler comme si de rien n’était, poursuit le témoin. Notre délégué général nous a dit de ne pas nous inquiéter. Que cette affaire ne concernait pas Régions de France."
Philippe Bailbé pourrait cependant avoir à s’expliquer devant les enquêteurs. Car selon nos informations, c’est lui, que d’aucuns décrivent comme “proche de Laurent Wauquiez”, qui a recruté Nawel G. en 2019. Il est alors directeur général des services au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, soit le plus haut poste administratif de la collectivité. Il embauche Nawel G. en tant qu’agent contractuel pour 5 080 euros nets par mois. La région lui loue un bureau au siège de RDF pour 11 631 euros par an. Antoine (prénom d’emprunt), un collaborateur parisien proche de Nawel G., nous le confirme : "C’est Philippe Bailbé qui a mis en place son contrat en 2019. C’est à lui seul qu’elle rendait des comptes." En août 2022, Philippe Bailbé quitte le conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes. Dans la foulée, il devient délégué général... de RDF où il retrouve Nawel G. Interrogé sur ce contrat qu’il a mis en place, Philippe Bailbé répond que cela "rentre désormais dans le champ d’une enquête judiciaire". "Les réponses seront apportées, le moment venu et s’il y a lieu, dans le cadre de la procédure", écrit-il, en précisant avoir constamment veillé "au respect du cadre technique, juridique et budgétaire", lorsqu’il était directeur général des services de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Mais revenons à Nawel G. Officiellement, elle "a représenté la région Auvergne-Rhône-Alpes auprès de Régions de France" de 2019 à fin 2023. Sur son profil LinkedIn - modifié puis fermé quelques heures après la publication de la première enquête en octobre dernier - elle disait s'occuper "de la coordination régionale pour la réalisation des priorités du mandat". Sur place, quai de Grenelle, un salarié de RDF confirme l’avoir croisée à plusieurs reprises mais il avait "du mal à cerner ses fonctions exactes". Au sein même de la région Auvergne-Rhône-Alpes, l’existence de cet emploi à Paris interpelle. Comme l'enquête le révélait en octobre, les services administratifs du conseil régional ont alerté par écrit en avril 2023 le président Laurent Wauquiez sur ce poste qui "ne figurait dans aucun organigramme”, “n’a ni utilité, ni contenu" et pourrait s'apparenter à "un emploi fictif".
Nawel G. licenciée
Alerté par ses services, Laurent Wauquiez maintient d’abord Nawel G. à son poste. Elle fait même son apparition dans l'organigramme de la région au printemps 2023... avant d'en être retirée pendant l'été. D’après nos informations, la presque quadragénaire a été licenciée à l’automne dernier car, selon une source interne, "sa situation devenait intenable". "Elle gérait en parallèle une agence de relations publiques à Paris et elle a participé au Sarkothon il y a 10 ans. Cela fait beaucoup d'indices", lâche un membre d’un groupe d’opposition. Nawel G. a en effet été “responsable marketing et fundraising [levée de fonds, NDLR]” de LR entre 2012 et 2017. À ce titre, elle revendiquait sur sa page LinkedIn avoir "mis en œuvre et piloté" le "Sarkothon", cette souscription nationale extraordinaire qui a permis à Nicolas Sarkozy de rembourser ses dettes, après l'invalidation de ses comptes de campagne pour la présidentielle de 2012. Elle avait également participé à la campagne de l’ancien président.
A-t-elle été recrutée pour faire de même avec Laurent Wauquiez dans la perspective de la présidentielle 2027 ? L'intéressée dément formellement. “Il n'y a pas de pré-campagne présidentielle en cours”, a-t-elle répondu cet automne. Elle indique pouvoir “fournir tous les documents qui attestent de [s]on travail” à la région. Un démenti qui surprend Antoine, le collaborateur parisien de son entourage que nous avons rencontré. "Officiellement, elle se présente comme ‘coordinatrice régionale’ mais en fait, elle n’intervient jamais sur aucun dossier régional, affirme-t-il. Son action, c’est d’organiser des déjeuners à Paris avec des chefs d’entreprise ou de généreux donateurs. C’est comme ça qu’elle les évoque. Elle ne cherche pas à dissimuler ses activités." Nawel G. n’a pas souhaité réagir à ce nouveau témoignage. Depuis son licenciement, la région n’a pas recruté de nouveau "délégué à Paris". Le conseil régional a d’ailleurs demandé à résilier le bail de son bureau le jour même de la publication de notre enquête, le 19 octobre 2023.
Le rôle ambigu d’Arnaud B.
Au même moment, lundi 27 novembre, une autre perquisition se déroulait au 4, rue de Solférino, à deux pas de l’Assemblée nationale. À cette adresse, la région Auvergne-Rhône-Alpes loue un espace de 295 m² pour son antenne parisienne. "C’est un grand appartement haussmannien classique avec le parquet qui craque", témoigne un visiteur des lieux. Il décrit le bureau de Laurent Wauquiez, avec vue sur le drapeau français qui flotte sur le toit de la grande chancellerie de la légion d’honneur, située juste à côté. Au mur, une affiche du cow-boy Blueberry, l’un des héros de BD préférés du président de région. Une grande salle, avec vidéoprojecteur et des chaises en plastique colorées, permet d’organiser des réunions.
Séparés par des cloisons, plusieurs bureaux accueillent les collaborateurs de Laurent Wauquiez rémunérés par la région Auvergne-Rhône-Alpes : Arnaud B., Charlotte V. et Roch de B. Ce sont les trois autres membres de son "équipe parisienne" que nous avions identifiés lors de notre première enquête.
Arnaud B. occupe un bureau mitoyen de celui de Laurent Wauquiez : le bureau “Sancy” (du nom d'un sommet auvergnat). Selon nos informations, pour son travail de conseiller spécial au sein du cabinet de Laurent Wauquiez, il est rémunéré 10 580 euros brut mensuels, soit le même salaire que la directrice de cabinet, qui est pourtant sa supérieure hiérarchique.
Pour des raisons personnelles et familiales, il a choisi d’habiter à Bordeaux et travaille donc à Paris. Quel est son rôle exact au sein du conseil régional ? "Il se dit de plus en plus parmi les élus qu'il y a une ambiguïté", confie un parlementaire LR de la région. Plus catégorique, un haut fonctionnaire affirme qu'Arnaud B. "ne s'occupe que de politique nationale. Les dossiers locaux, ce n'est pas son affaire". Les journalistes parisiens qui couvrent la droite au niveau national et suivent depuis des années l’ascension de Laurent Wauquiez, expliquent qu'Arnaud B. est leur "interlocuteur naturel" et même “incontournable” pour parler de, et à Laurent Wauquiez. Interrogé par la cellule investigation de Radio France, Arnaud B. avait confirmé cet automne qu'il était, "en tant que collaborateur du président de région, régulièrement contacté par des médias nationaux" mais, ajoutait-il, "pas uniquement". "Je m'efforce de répondre aux journalistes sur tout type d'interrogations ou de demandes concernant le président de région". Démenti également de l’entourage de Laurent Wauquiez, pour qui Arnaud B. peut "intervenir sur l’ensemble des domaines d’arbitrage, de pilotage et de conseil sur les politiques publiques régionales".
De Nemours à Lyon
Dans ces locaux de la rue de Solférino, les enquêteurs ont perquisitionné un deuxième bureau : la pièce “Puy-de-Dôme”. C’est là que travaille une autre collaboratrice de Laurent Wauquiez, Charlotte V., 27 ans. Elle a été recrutée en tant que conseillère technique fin 2022, après un court passage au service d’action territoriale de la région. À ce titre, elle perçoit aux alentours de 4 000 euros bruts mensuels, selon une source interne.
La jeune femme ne fait pas état de ce poste en Auvergne-Rhône-Alpes sur sa page LinkedIn. On y apprend en revanche qu'elle est adjointe au maire de Nemours en Seine-et-Marne, où elle s'occupe du portefeuille de la démocratie locale, du cadre de vie et de la communication.
Charlotte V. a baigné très tôt dans la politique. Sa mère, Valérie Lacroute, aujourd’hui maire de Nemours, a été députée LR de la 2e circonscription de Seine-et-Marne. Techniquement, d'après des élus locaux seine-et-marnais, le poste d'adjointe qu’occupe Charlotte V à Nemours n'est pas incompatible avec un poste de collaboratrice de cabinet à Lyon, à 400 kilomètres de là. Tous les adjoints ont un travail en sus de leur fonction municipale, nous dit-on. Sauf qu'à Lyon, ni les élus que nous avons interrogés, ni le personnel administratif, même parmi les plus anciens n'ont “entendu parler” de Charlotte V. Sollicitée, la jeune femme se défend : "Contractuellement, ma résidence administrative est à Paris, écrit-elle. J’assure l’organisation et le lien avec les institutions et les personnalités dans le cadre du mandat de Laurent Wauquiez." L’entourage du patron de région précisait cet automne que la jeune femme était chargée "d’assister le président dans les entretiens à Paris et d’assurer une veille institutionnelle."
Selon nos informations, avant d’être embauchée au cabinet de Laurent Wauquiez, Charlotte V. visait l’investiture Les Républicains pour les élections législatives de 2022 dans la 2e circonscription de Seine-et-Marne. Bronca et refus du côté de la rue de Vaugirard, au siège de LR, où l’on y a vu "la main un peu trop insistante de sa mère", Valérie Lacroute.
"La zone grise"
Le quatrième emploi qui intéresse les enquêteurs est celui de Roch de B., 34 ans. D’après l'organigramme de la région, il est directeur adjoint de cabinet depuis janvier 2023. À ce titre, selon une source interne, il perçoit environ 8 000 euros brut par mois. Roch de B. est un fidèle de Laurent Wauquiez, qu’il a suivi durant les différentes étapes de sa carrière. Il a été stagiaire à son cabinet au ministère de l'Enseignement supérieur en 2011. Il a ensuite occupé un poste de conseiller technique lors du premier mandat de son mentor à la région, puis il a été chargé des études au sein du parti LR. En janvier 2023, Roch de B. fait son retour dans les effectifs du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes. Sauf que là encore, personne parmi nos interlocuteurs ne le croise au sein de la collectivité, ni ne peut dire quelles sont ses missions, même parmi des élus de la majorité LR.
Selon une source haut placée au conseil régional, il occupe lui aussi un bureau rue de Solférino avec "en ligne de mire 2027". Contacté cet automne, Roch de B. affirmait au contraire exercer un emploi en lien avec la région. "J'ai en charge la supervision du travail des conseillers techniques [...] et la préparation de prises de parole de Laurent Wauquiez", expliquait-t-il. Parmi ses champs d’intervention, "la sécurisation des lycées face au risque terroriste" et "les conditions d’application du zéro artificialisation nette", fait savoir l’entourage de Laurent Wauquiez.
"Tout cela ne me surprend pas", analyse Philippe Langenieux-Villard, conseiller régional dans la majorité jusqu’en 2021, aujourd’hui en froid avec le président de région (il a rendu sa carte de LR en 2017 quand Laurent Wauquiez a pris la présidence du parti). "Je ne considère pas que Laurent Wauquiez serait malhonnête. Mais je pense qu’un homme politique qui prétend à des responsabilités nationales et qui a un pouvoir local, doit s'armer d'un certain nombre de collaborateurs pour pouvoir y accéder, estime-t-il. Je peux parfaitement comprendre que, quand on a l'ambition de Laurent Wauquiez, on ait besoin de collaborateurs qu’on ne peut pas payer autrement que d'une manière qui soit dans la zone grise."
Un proche de Laurent Wauquiez surpayé ?
Lors de leurs perquisitions en novembre 2023, les enquêteurs ont donc cherché à recueillir des prestations de travail de ces quatre salariés de la région, pour déterminer leurs missions réelles. Pour ce faire, le PNF n’a pas ouvert de nouvelle enquête, mais a élargi le périmètre de l’enquête préliminaire déclenchée en septembre 2020. Un an plus tôt, en 2019, la chambre régionale des comptes avait publié un rapport sur la gestion de la collectivité, dans lequel elle pointait la rémunération “disproportionnée” d’un cadre du conseil régional, Ange Sitbon, un proche de Laurent Wauquiez. L’association anticorruption Anticor décidait alors de faire un signalement au procureur dans lequel elle dénonçait l’action “politique” du service que dirige Ange Sitbon, ce qui débouchera sur l’ouverture de l’enquête du PNF.
Le nom d’Ange Sitbon n’est pas connu du grand public. Mais à droite, il est considéré comme un expert électoral hors pair. Il a été directeur du pôle élections, surnommé “Monsieur Élections”, à l’UMP puis à LR pendant huit ans. En 2016, au début de son premier mandat régional, Laurent Wauquiez le débauche et le fait venir à Lyon pour le nommer “coordinateur des relations aux élus”. Concrètement, Ange Sitbon est à la tête d’un service administratif - la délégation aux collectivités - avec six agents sous sa responsabilité. Il est chargé de distribuer les subventions du conseil régional aux communes et aux associations dans tout le périmètre Auvergne-Rhône-Alpes. C’est une manne financière de plusieurs millions d’euros par an.
En général, ce genre d’emploi est dévolu à un fonctionnaire et c’est un poste apolitique car il est situé en dehors du cabinet du président. Sauf que le rôle d’Ange Sitbon est éminemment politique, nous confie un baron régional LR : “[Ange] Sitbon, c'est la clé d'entrée des subventions. Il vaut mieux bien s’entendre avec lui si l’on veut obtenir des fonds du conseil régional.” Cet élu précise : "La stratégie de [Laurent] Wauquiez est de s’appuyer sur les zones rurales, pas sur les métropoles. Si un maire du Cantal veut refaire sa salle des fêtes ou restaurer un métier à ferrer les chevaux et qu’il lui faut 800 euros, ça passe chez Sitbon". En interne, des fonctionnaires s’interrogent. Pourquoi avoir fait venir Ange Sitbon, alors qu’il existe déjà "un service d’action territorial" dans les départements et "une direction de l’aménagement du territoire et de la montagne" (DATM) chargés des mêmes missions ? "Ça doublonne", nous dit-on. Mais Ange Sitbon semble intouchable. D’après nos informations, contrairement à ce qui se passe dans d’autres collectivités, il en impose même aux vice-présidents de la région. "Si c’est passé par le service d’Ange, là je n’ai pas la main", écrit la vice-présidente chargée de la Culture, Sophie Rotkopf, en février 2023, lorsqu’elle est sollicitée pour une demande de subvention pour un évènement culturel dans l’Ain. "Ange est là pour faire de la gestion politique des dossiers. On l’a fait venir pour cela", explique un fonctionnaire sous couvert d’anonymat.
Ne pas "éveiller les soupçons"
Aujourd’hui, les magistrats cherchent à savoir si cette gestion sert les intérêts de la région ou ceux de Laurent Wauquiez. D’autant que la rémunération d’Ange Sitbon interpelle. Selon nos informations, il a été recruté en CDD en avril 2016 avec un salaire de 10 938 euros brut mensuels. C'est la deuxième plus grosse rémunération du conseil régional, cabinet compris, alors qu’il n’a "que" six agents sous ses ordres. Puis son contrat a été transformé en CDI en mai 2022 avec une rémunération de 10 580 euros brut, soit toujours plus du double de ce que perçoivent les cadres du conseil régional à niveau de responsabilités équivalentes. Or d’après la législation en vigueur, la rémunération d’un agent contractuel ne peut être manifestement supérieure (ni même inférieure) à celle d’un fonctionnaire qui occuperait le même poste.
Selon un élu régional LR de premier plan, Laurent Wauquiez était "au courant de ce niveau anormalement élevé de rémunération. Il y a près de 9 000 agents à la région. Évidemment qu’il ne connaît pas les rémunérations de chacun. Mais pour Ange Sitbon, je peux vous assurer que cela s’est négocié dans son bureau". D’après nos informations, Laurent Wauquiez n’a pas souhaité baisser la rémunération d’Ange Sitbon, même après les perquisitions qui ont eu lieu en septembre 2022 à l’hôtel de région sous la houlette du PNF. Il ne fallait pas "éveiller les soupçons", raconte un agent, sachant qu’Ange Sitbon est dans l’œil de la justice. Le président de région s’y est ensuite résolu. Ange Sitbon aurait accepté au printemps dernier que sa rémunération soit amputée de 2 280 euros chaque mois pour "rentrer dans les clous".
Quoi qu’il en soit, Laurent Wauquiez semble déterminé à garder auprès de lui celui qui est considéré comme un expert en matière d’élections. "C’est le plus grand spécialiste français de la carte électorale, au mètre carré près, abonde l’ancien conseiller régional LR Philippe Langenieux-Villard. J’ai été surpris qu’Ange Sitbon accepte ce poste en région pour l’avoir connu avant, dans d’autres responsabilités nationales." L’ancien élu conclut, avec ironie : "Bravo à Laurent Wauquiez d’arriver à faire venir à la région des gens qui sont peut-être, au départ, surdimensionnés pour le poste. Ange Sitbon lui sera sûrement utile pour 2027." Interrogé sur ses missions et sa rémunération, Ange Sitbon n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Laurent Wauquiez n’a pas souhaité non plus nous donner de précisions sur les questions soulevées par notre enquête.
Un cabinet gonflé artificiellement ?
Autre point sur lequel le PNF a lancé des investigations : le profil des emplois situés sous la direction d’Ange Sitbon. D’après le signalement transmis par Anticor à la justice en juillet 2020, “parmi les six chargés de mission en poste, cinq étaient des élus LR, et tous étaient des militants LR au moment de leur recrutement". Selon l’association, ces emplois auraient un profil "politique" qui pourrait s’apparenter à des emplois de cabinet alors qu’ils sont rattachés à un service administratif. "Dans une région il y a une dualité, avec des agents qui sont sur l'administratif et des agents qui sont sur le politique, explique la présidente d’Anticor, l’avocate Elise Van Beneden. Mais la réglementation impose un nombre limité de collaborateurs politiques. Pour Auvergne-Rhône-Alpes, c’est 20 maximum. Sur le papier, ils étaient 19 au cabinet de Laurent Wauquiez. Sauf que dans la réalité, il y avait aussi beaucoup d'agents qui étaient censés être des administratifs et qui finalement étaient sur des missions politiques."
Trois ans après l’ouverture de l’enquête sur les emplois de la “cellule Sitbon”, deux de ces chargés de mission sont toujours en poste. Les autres ont été remplacés par des profils tout aussi politiques, notamment Romain Lefebvre, maire adjoint de Montluçon et président des LR dans l’Allier. Selon un membre de l’opposition au conseil régional, "ils ont fait le ménage mais pas totalement. Il y a encore des emplois de collaborateurs dans la direction d’Ange Sitbon. Ce sont des contractuels qui font un boulot de collaborateurs politiques. C’est une sorte de cabinet bis". Le PNF étudie aussi la situation d’une vingtaine de chargés de mission dédiés aux vice-présidents de la région. Selon le rapport de la chambre régionale des comptes de 2019, leurs fiches de poste "révèlent que les missions exercées sont proches de celles dévolues à des collaborateurs de cabinet". La CFDT nous précise aujourd’hui que "trois ans après l’ouverture de l’enquête, la situation n’a pas évolué". "Il y a 28 chargés de missions affectés à des contrats de projet. On se demande bien pour qui ils travaillent réellement", déplore le syndicat, qui ne souhaite pas prendre la parole publiquement “car c’est compliqué de se fâcher avec Laurent Wauquiez".
Interrogée sur le profil de ces postes, la Région n’a pas souhaité nous répondre. Mais un jugement rendu en mars 2023 dans une affaire qui semble comparable n’est pas passé inaperçu. L’ancien président du conseil départemental du Val-de-Marne, le communiste Christian Favier, a été condamné à 10 000 euros d’amende pour “détournements d’emplois publics”.
Des dîners fastueux qui inquiètent en interne
L’affaire la plus urticante pour Laurent Wauquiez reste cependant celle dite du “dîner des sommets”, révélée par Mediapart en octobre 2022. Quelques mois plus tôt, le 23 juin 2022, le président de la région Auvergne Rhône-Alpes avait reçu en grande pompe au château de la Chaize, au cœur du Beaujolais, 90 convives, aux frais de la région. Il y avait là le patron de M6, Nicolas de Tavernost, le président de GL Events, Olivier Ginon, le skieur Alexis Pinturault, le tennisman Jo-Wilfried Tsonga... Laurent Wauquiez était le seul élu présent. "Invités escortés à bord de vans de luxe pour parcourir quelques centaines de mètres, apéritif au champagne dans les jardins à la française dessinés par Le Nôtre, dîner élaboré par l’Institut Paul-Bocuse avec service à la cloche – un serveur par convive –, bouteille de vin, pâtisserie et tire-bouchon siglé de la région en cadeaux", décrit Mediapart. La facture salée fait tousser l’opposition : 100 000 euros (120 192 euros TTC), soit 1 100 euros par convive.
Interrogé par nos confrères, l’exécutif régional s’est défendu en vantant un évènement qui a permis “la mise en relation de personnalités issues de tous les horizons” afin de "créer de grandes synergies entre les acteurs de la région". Un patron présent lors du dîner abonde : "C'était vraiment un évènement pour promouvoir l'activité économique de la région. J'ai pu rencontrer des gens, dans mon domaine d’activité, dont j'ignorais l'existence", relate-t-il. "Je comprends que le service à la cloche puisse interpeller, mais ce sont des milliers d'euros de business qui peuvent jaillir de ce genre d’évènements", poursuit l’entrepreneur rhodanien.
En décembre 2022, le PNF a pourtant ouvert une enquête pour “favoritisme, recel de favoritisme et détournement de fonds publics”. Et des perquisitions ont à nouveau eu lieu à l’hôtel de région en février 2023. La justice cherche à savoir si l’évènement, financé sur fonds publics, a servi les intérêts de la région ou ceux de Laurent Wauquiez. "Cela a tout d’une apparence de crowdfunding même si à la fin, il n’y a pas eu de remise de chèques, estime un élu LR, très bon connaisseur du conseil régional. Que son cabinet laisse passer un truc pareil est invraisemblable.” L’entrepreneur précité estime au contraire que c’était “une initiative purement économique et pas du tout politique."
Quoi qu’il en soit, avant même sa divulgation par Mediapart, cet évènement a posé question en interne. Selon nos informations, une note de la direction des moyens généraux datée de septembre 2022 a alerté l’exécutif sur les risques liés à l’organisation de ce dîner fastueux. "Le 23 juin dernier, un événement organisé par la région et dénommé le ‘dîner des sommets’ s'est tenu au château de la Chaize, peut-on lire. Il s'agit du second événement de ce type, le précédent s'étant déroulé le 31 mars 2022 à l'institut Paul Bocuse d'Écully." Si le coût du premier dîner (13 732 euros TTC) ne semble pas avoir posé de problèmes, le second, 10 fois plus cher, a visiblement été difficile à absorber. "L'arrivée des factures a posteriori et sans instruction préalable a été particulièrement compliquée à gérer, écrivent les services dans cette note que nous avons pu consulter. En cette fin d'année budgétaire, où les autorisations d'engagement se raréfient et servent à l'engagement des ultimes dépenses, cette absence de programmation devient très difficile à gérer."
La note pointe aussi des risques de non-respect de la commande publique : "Sur 21 postes de dépenses, 13 sont couverts par un marché et huit ont dû être pris hors marché. (…) Il convient de souligner les dépenses importantes de cocktail (11 676,50 euros HT) et de traiteurs (17 846,46€ HT) réalisées en dehors des marchés régionaux, étant entendu que nous n'avons pas connaissance d'éventuelles mises en concurrence préalables.” Les services concluent que “l'absence de prévision de ce type d'évènement est une source de problèmes […] amenant de potentiels risques juridiques et financiers pour la collectivité". De son côté, l’opposition s’interroge : "Si cela avait été une dépense de valorisation de la région, pourquoi les services du conseil régional n’ont-ils appris l’existence de ce dîner qu’a posteriori, une fois les factures transmises ?", se demande un élu de gauche.
Interrogé sur le dîner des sommets et les factures afférentes, l’entourage de Laurent Wauquiez n’a pas souhaité nous répondre. Les révélations sur cet évènement somptueux semblent en tout cas avoir refroidi l’exécutif régional. Selon nos informations, un troisième "dîner des sommets", prévu le 24 novembre 2022, a finalement été annulé.
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